Bornes commémoratives, Vauthier, Portugaises, 1918

Bornes commémoratives, marquant la ligne du front du 18 juillet 1918, dont portugaises.

  1. Comment le Touring club de France a financé les bornes ?
  2. Comment la Commission portugaise des monuments de la grande guerre a obtenu des fonds pour souscrire aux 7 bornes dites « portugaises » ?
  3. Qui est vraiment le sculpteur Paul Moreau-Vauthier ?

Voici quelques questions que je me suis posées pour rédiger cet article, auxquelles je donne des réponses après quelques lectures et recherches.

Après-guerre, Michelin de Clermont-Ferrand  se lance dans un projet  touristique de mémoire en publiant ses guides illustrés des champs de bataille.

De son côté, le Touring club de France lance une souscription interalliée en 1921, pour financer les bornes commémoratives, œuvre à la fois patriotique et touristique. Un appel est fait aux anciens combattants alliés pour perpétuer des souvenirs communs de douleur et de gloire.

En parallèle, des bornes miniatures en bronze, en grès, en biscuit de Sèvres, sont vendues aux sociétaires du Touring. Elles sont à usage de presse-papier, d’encrier de bureau, ou d’objet décoratif.

Les appels à souscription et vente sont renouvelées pendant au moins 6 années. Les donateurs sont de toute nature, simples particuliers, maires, communes, groupes cyclistes, universités, journaux, riches entrepreneurs et bien d’autres… Les dons sont à la fois privés et publics. Seuls les noms de souscripteurs,  d’une borne (ou plus) pour un montant de 3500 francs, sont gravés au bas en-dessous des mots « Touring club de France »

Le projet initial:

La ligne d’arrêt de l’invasion de 1918 est  jalonnée de  bornes avec inscription des noms de communes, de la mer du Nord à la frontière suisse. Les bornes de 1m35 sont l’œuvre du sculpteur Moreau-Vauthier, en granite rouge d’Alsace,  où est inscrit « Ici fut repoussé l’envahisseur 1918 ». L’objectif est de commémorer, pour les générations présentes et futures, un grand évènement de l’histoire et de rendre hommage aux soldats.

1- Pour le financement, le Touring club belge a participé au projet en prenant à sa charge l’appel à souscription pour les  bornes à élever sur le territoire de la Belgique. La 1ère est inaugurée à Dixmude en juin 1922. Les bornes de Nieuport (don de la banque nationale) au Mont Kemmel sont entièrement souscrites en juin 1923, Ramscapelle don de la Société générale, Lizerne don de la banque de Bruxelles, Drie-Grachten don du crédit anversois, Boesinghe don d’une dame aux initiales A. S.

M-à-J: Patrick Rapoye, collaborateur du « Musée In Flanders Fiels » me donne des indications concernant ces initiales: « C’était Madame A. Solvay, née Marie Masson (1851-1917) et mariée en 1872 avec Alfred Solvay. La souscription (et le paiement) était probablement fait “au nom de…”, par sa fille Thérèse mariée avec Emile Tournay. »

Les Américains se réjouissent de contribuer à la « Line of Victory » où leurs soldats ont combattu. Le Colonel LEACH , maire de Minneapolis souscrit à la borne de Souain. L’Etat de Washington souscrit à la borne de Regnieville. L’association des dames américaines de  « Minute Women » de Seatle souscrit la borne de Bois-Belleau.

La ville de Paris souscrit pour 7000 francs, le département de la Seine pour 3500.

Le Préfet de la Somme inscrit son département pour 4 bornes, il en finance au moins deux, pour les communes d’Albert et Thennes. La ville d’Amiens souscrit la borne de Villers-Bretonneux.

Le Maire de Fontenoy dans l’Aisne souscrit une borne.

Le Conseil général du Nord souscrit à 8 bornes. (28 000 francs votés en 1924)

Les fonds pour les bornes de Vimy, Gavrelle, Monchy-le-Preux sont souscrits par la ville de Québec et des donateurs canadiens de sa province. La Compagnie des Chemins de Fer du Nord souscrit à la borne de Lens.

La Compagnie des Chemins de Fer de l’ Est souscrit à la borne de Nomény.

Le département de la Manche souscrit à la borne de Samogneux.

Les délégués, nombreux et actifs du Touring club, de l’étranger et des colonies recueillent également des souscriptions auprès de La Grande-Bretagne et  l’Italie pour leur fronts respectifs,  l’Egypte, le Brésil, le Mexique,  la Chine, la Suisse, Haïti, et bien d’autres pays étrangers, comme la Hollande pays neutre et un souscripteur d’un modeste chèque.

La colonie française du Sénégal souscrit à 2 bornes, Bezonvaux et Saint-Mihiel.

Le Comité des Sociétés françaises de Buenos-Aires souscrit à 16 bornes. M. DHERS, délégué principal du T.C.F à Buenos-Aires souscrit personnellement à la borne du Col de Bonhomme.

Ces nombreuses informations peuvent  se compléter en consultant les revues du Touring club de France.

2- Concernant le Portugal, les écrits découlent des précédentes recherches et lectures concernant les anciens combattants portugais (mariages franco-portugais et commémorations de la bataille de la Lys d’avril 1918 après-guerre)

La commission des « Padroes da grande guerra » est constituée après-guerre. L’objectif est de collecter des fonds pour ériger des monuments commémoratifs au pays mais également en Afrique et en France, dont le monument de La Couture et 7 bornes du Pas-de-Calais, dans la zone arrière portugaise de 1917 et 1918. Les communes choisies pour l’implantation concernent le front devant Béthune en juillet 1918, les communes de Saint-Floris à Beuvry, zone où les divisions du Corps expéditionnaire portugais étaient présentes, avant l’invasion finale allemande du printemps 1918. Tout comme le Touring club de France, la commission portugaise des monuments lance un appel à souscription auprès de la population du pays. Le soldat photographe de la grande guerre Arnaldo GARCEZ fait partie de la commission centrale en 1921.

On retrouve dans la commission exécutive les principaux Généraux portugais, dont ceux qui ont dirigé le Corps expéditionnaire portugais pendant la grande guerre, GOMES da Costa et TAMAGNINI de Abreu e Silva.

Les photos, prises en 1917 et 1918 en France par le soldat photographe Arnaldo Garcez, ont servi à l’édition de cartes postales pour  la Commission portugaise des monuments de la grande guerre et aidé à récolter des fonds pour le  financement des  bornes dites « portugaises ».

Une somme de 24500 francs est réunie pour les 7 bornes auprès de nombreux (petits) donateurs dont anciens combattants portugais. D’autres manifestations (courses de taureaux, concerts, etc…) ont mobilisées la population  au bénéfice des petits monuments.

NB : Il serait intéressant de connaître l’existence de gros donateurs ? Si oui lesquels ? Et de différencier les fonds publics des fonds privés.

La 1ère borne « Touring club de France – Don du Portugal » est située à Essars, Le Hamel lieu-dit de Beuvry (aujourd’hui) et  porte le nom de la commune de Béthune. Elle est inaugurée en présence du Maréchal JOFFRE et de la mission portugaise le 11 novembre 1923.

Cette borne et les 6 autres  de ce petit territoire du Bas-Artois existent encore aujourd’hui. Le Souvenir français a posé sur certaines une plaque « Ici fut repoussé l’envahisseur ». Celle-ci remplace les inscriptions disparues avec le temps. L’inscription de l’année 1918 n’y figure pas ?

3- Le sculpteur des bornes commémoratives : Paul Moreau-Vauthier

Intriguant de s’appeler Paul alors que c’est son 3ème prénom : Gabriel Jean Paul à l’état civil.

Surprenant ce  «  dit Moreau-Vauthier » qui suit le prénom Paul dans son dossier de légion d’honneur (chevalier en 1910, officier en 1920), tout comme son père Augustin dit Moreau-Vauthier (chevalier en 1877).

Une petite enquête s’en suit ! L’acte de naissance et le feuillet matricule confirment son état civil : « Gabriel Jean Paul MOREAU ».

Sur l’ Acte de naissance du sculpteur MOREAU Gabriel Jean Paul en 1871, sont témoins deux artistes peintres.

Les artistes MOREAU sont nombreux à l’époque, je pense que père et fils ont voulu se démarquer en accolant VAUTHIER à leur nom de naissance. Le père Augustin Jean MOREAU, sculpteur, accole le nom de naissance de son épouse VAUTHIER. Le fils Gabriel Jean Paul, sculpteur et élève du père, prend logiquement le nom de son père accolé de celui de  sa mère, et choisit le prénom Paul pour les mêmes raisons.

Il est aisé de comprendre, lorsqu’on regarde l’ascendance VAUTHIER, ce choix des sculpteurs MOREAU pour se différencier, à une époque où femmes et enfants  portent le patronyme de l’époux et du père. La famille VAUTHIER s’est davantage illustrée.

S’il faut donner le nom de famille du sculpteur à ces bornes commémoratives, il semble logique qu’elles soient appelées MOREAU-VAUTHIER, comme l’ont souhaité les père et fils, voir MOREAU leur patronyme de naissance  et aucunement celui qu’on leur donne aujourd’hui.

Vous ne regarderez peut-être plus ces petits monuments de la même façon ?

Sources :

Base Léonore, Archives nationales – Etat civil et Registres matricules du recrutement, Archives de Paris – Presse, Gallica Bibliothèque nationale de France dont la revue du Touring club de France – Médiathèque de l’architecture et du patrimoine – Groupe Facebook Corpo expedicionario portugues – Archives portugaises – Geneanet

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