Il y a plus d’un an, je transcrivais un dossier des archives municipales de Lille relatif à l’évacuation de la ligne de feu
( voir le lien : Evacuation des habitants de la ligne de feu ), des communes de Flandre-Artois, le long de la Lys, lors de la bataille d’avril 1918. Une commune manquait néanmoins dans ce dossier, celle de Fleurbaix, voisine de Laventie, toute proche de la ligne de front. Je n’ai pas trouvé de liste d’évacués mais un article dont je vous livre ci-dessous une transcription, ne faisant que quelques petites coupures. Récit de 8 jours d’invasion en octobre 1914. (Article associé : Violences aux civils )
- « Huit jours avec les Allemands : Atrocités et notes historiques de l’occupation allemande de Fleurbaix (Pas-de-Calais).
Fleurbaix, la coquette cité de Notre-Dame-du-Joyel, dont les splendides fêtes mémorables de 1912, organisées en son honneur, eurent un si grand retentissement dans toute la région, eut, comme on le sait, à subir d’abord l’invasion allemande, puis les ravages de la guerre, comme bien d’autres pays hélas !

On sait que Fleurbaix, commune de 3000 habitants, se trouve à proximité d’Armentières et des pays environnants du Nord et fait partie, d’après les archives recueillies par un savant écrivain (le chanoine DEPOTTER je suppose), de l’antique et renommé « Pays de Lalloeu », dont la légende nous signifiait « Fleurbaix la fleur, Gorgue jolie, Ventie chérie, etc. »
[…] Au début de septembre 1914 […] L’ennemi, dit-on, est à nos portes ; plusieurs milliers de cavaliers ont passé la frontière venant de la direction d’Ypres. Bailleul a reçu la visite de 300 uhlans qui ont demandé la route d’Estaires !
[…] à la mi-septembre […] dans les grandes villes, Armentières, Lille, etc., tous les hommes mobilisables de 20 à 48 ans, reçoivent l’ordre de quitter leurs villes dans le plus bref délai, afin de se tenir à la disposition de l’autorité militaire. A 7 heures 1/ 2, le flot des mobilisables commence à déambuler par la Malassise vers Laventie et Béthune. Beaucoup ont arboré les fameuses musettes qui resteront légendaires et prennent le chemin de l’exil et des souffrances. […] Le lendemain, les mobilisables des régions de Valenciennes, Lille, Roubaix, Tourcoing, Orchies, Douai, La Bassée, ont traversé la commune pendant toute la nuit. La plupart, gais et joyeux, causent avec animation. Certains groupes chantent avec entrain. Ils ont emporté à la hâte quelque linge et un peu de pain.
[…] aux premiers jours d’octobre […] Vers le 5 octobre, un parti d’Allemands, venu de la Belgique, par Steenwerck, s’avança jusqu’à la gare d’Erquinghem-Lys (à 3 kilomètres de Fleurbaix) et fit sauter la voie ferrée d’Armentières à Berguette. […] le vendredi 9, la situation devenait réellement critique. De véritables troupeaux humains encombraient les routes, piétinant les champs, arrivaient de Lille, de Roubaix et de Tourcoing. Par Armentières, Bois-Grenier, ils atteignaient Fleurbaix. Carrioles, bicyclettes, voitures d’enfants, brouettes, s’enchevêtraient dans le plus lamentable des pêle-mêle. Ces fugitifs avaient faim et soif. En un clin d’œil, les caves des estaminets et les rayonnages des boulangeries furent dépouillés de leur contenu. Les réfugiés firent courir les bruits les plus sinistres. Mais, comme depuis six semaines, on s’était accoutumé aussi bien aux exodes en masse qu’aux prompts retours, l’opinion publique ne s’émut pas outre mesure à Fleurbaix. Les uns partirent, beaucoup restèrent.
Le lendemain samedi […] Vers midi, des coups de feu retentirent à la Malassise ; six cavaliers allemands avaient tiré sur un civil, qui fuyait à toutes jambes, à travers les prairies, à leur approche. Ces uhlans traversèrent le bourg, au petit trot, le cigare aux lèvres l’air arrogant et prirent la direction de Fauquissart et de Neuve-Chapelle. […] le grand défilé commençait à travers les rues de Fleurbaix ; il en venait de tous les points. Ce flot humain déferla vers Sailly et Estaires, pendant plusieurs heures, puis la colonne fit halte. Des crosses ébranlèrent les portes, des voix rauques, en un français macaronique, réclamèrent l’accès des demeures. Tout de suite les fouilles commencèrent pour découvrir et arrêter les mobilisables…l’installation commença…ou plutôt le pillage. […]
Des atrocités furent commises. Des femmes outragées dans des fermes isolées. […]. Cela dura trois jours, puis soudain, le mardi 13 octobre, le bourg se vida, les Allemands s’étant portés en avant. […] le pillage s’était borné aux maisons abandonnées. […] Le bureau de poste avait été saccagé, les appareils télégraphiques et téléphoniques brisés à coups de marteau. A la Boutillerie, les fermes BRASME-LYS et CUVELIER, rue des Tronchons, furent incendiées, sous prétexte qu’elles recélaient des civils cachés. A Fauquissart, une fusillade faucha des fuyards. Des enfants qui prenaient l’exil à bicyclette, chargés de paquets, furent serrés de près par les Boches, mais purent parvenir à y échapper. Tout le monde n’eut pas le même bonheur.
Deux jeunes gens originaires l’un de Lille, l’autre d’Ascq, furent retrouvés tués et enfouis dans la ferme FEUTRY-NORY, rue du Bois ; M. l’abbé DEWITTE, curé de la paroisse, qui, comme son vicaire, n’avait pas abandonné ses paroissiens, identifia les corps au moyen des papiers qu’il retrouva sur eux et leur assura une sépulture au cimetière de Fleurbaix. A la Croix-Blanche, le corps de M. DELCROIX, homme d’environ 40 ans, de Fleurbaix, fut retrouvé tué dans sa propre cave. Deux autres victimes furent trouvées de même à la Croix-de-Rome, derrière l’estaminet GAMBRINUS. Ces malheureux, de tout jeunes gens, avaient été forcés par leurs bourreaux, de creuser leur propre fosse, une excavation qui contenait à peine le corps. […] ils furent fusillés […] cruauté qu’ont pu constater de nombreux témoins. (Nieppe compte parmi ses victimes civiles un jeune dénommé Henri PRUVOST, mort pour la France le 9 octobre 1914 à Fleurbaix sans autre précision. La transcription du jugement n’est intervenue que le 13 février 1922 et ne donne aucune autre précision sur le lieu éventuel du décès. Serait-ce un de ces jeunes ?
Nathalie Fache, présidente de l’association Niepkerke – Patrimoine Histoire & Généalogie)
- Mise à jour du 29 janvier 2019, après consultation des « Récits d’occupation de la grande guerre, visibles sur le site des Archives départementales du Pas-de-Calais »
Je connais maintenant le nom de ces victimes civiles:
– DUFERMONT Denis, inscrit sur le Monument aux morts d’ Hem (Nord) , 17-18 ans.
– FREMAUX Gaston 17-18 ans, Monument aux morts d’Hem sous le prénom Joseph.
– HENNETON lillois, pas de trace.
– MAILLOUX Désiré , pianiste à Ascq, inscrit sur le Mam de Villeneuve d’ Ascq (Nord)

Dès le 14 octobre, les Allemands revenaient. Et l’orgie recommença […]. Un aéroplane allié, voyant un cantonnement de chevaux, lança une bombe rue du Bois qui tua neuf chevaux. Les cadavres furent laissés sur les lieux et les Allemands en accaparèrent d’autres dans les fermes voisines, pour les remplacer.
Enfin, le samedi 17, ils décampèrent dès l’aube. Les habitants en furent d’autant plus heureux qu’ils n’avaient plus rien à se mettre sous la dent. Les barbares se repliaient au plus vite, sans se livrer en partant aux atrocités coutumières. […] Les troupes alliées, anglaises les poursuivaient, accueillies avec enthousiasme, un brave homme agita un drapeau tricolore pendant deux heures de défilé, au coin de la Belle-Vue.

Certains Allemands en retard furent faits prisonniers, et l’un d’eux armé d’un fusil, dans un grenier de la maison BLANQUART (inhabitée) à la Croix-de-Rome, fut atteint d’une balle par un soldat chasseur à cheval. A la Boutillerie se livra un combat à la baïonnette avec les troupes alliées, les Allemands furent pourchassés jusqu’aux trous ( Tranchées je suppose) qu’ils s’étaient creusés durant ces huit jours.
Tranquillité relative à Fleurbaix, le fracas de la bataille toute proche n’a pas cessé de retentir. […] Malheureusement, Jules TURBé fut atteint au moment où il sortait de l’estaminet de la Croix-de-Rome, d’une balle perdue venant de la direction du pont de Sailly, où avait eu lieu un petit engagement ; il succomba huit jours après sa terrible et fatale blessure. Tous ces jours historiques s’ajouteront à l’histoire particulièrement dramatique du cher « Pays de Lalloeu » naguère si paisible et si calme, dans ses parages de campagne active et laborieuse, de la terre chérie de nos pères. «

– Source : Le Télégramme, de Boulogne in Bulletin des réfugiés du Pas-de-Calais. ( AD62)
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- Ces récits de massacre d’évacués du Nord sont confirmés par l’instituteur de Fleurbaix, RETOURNé, dans un questionnaire aux enseignants établi en 1920 (source Argonaute BDIC), sur le territoire occupé par les armées allemandes et alliés. Il précise la prise de possession du village le 10 octobre 1914 par les Allemands et le défilé avec le kronprinz de Bavière.
« L’école est vidée de ses tables, remplacées par des chevaux. Le 17 octobre, l’ennemi s’est retiré à 3 k entre Fleurbaix et Fromelles. Anglais, Néo-Zélandais, Australiens occupent alors le pays jusqu’à la nouvelle invasion allemande du 9 avril 1918. Les classes furent mises hors d’usage au cours de nombreux bombardements. Malgré 2 évacuations successives de 500 habitants environ, quelques hommes non mobilisables et des vieillards réussissent à revenir. Une école est ouverte dans une étable de la ferme dite : « la Porte-à-clous » à 3 k de la ligne de feu. Dans la ferme, le Quartier général britannique et 600 h. de troupes. Tout le temps de la guerre est passé au milieu des troupes anglaises. La population, obligée de vivre et de commercer avec nos alliés, se met à l’anglais et l’apprend assez vite. »

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- Au cours de l’année 1916, un secours est demandé au Conseil général du Pas-de-Calais, pour d’anciens agents et cantonniers du service vicinal ou leurs veuves, Mmes DHAINE et BUISINE à Laventie, Mme ROCH à Béthune, Mme POTIEZ à Fleurbaix.
Dans les mêmes documents, issus des Rapports et délibérations du conseil général du Pas-de-Calais (source Gallica BNF), séance du 2 mai 1916, M. HARDUIN, au nom de la commission vicinale, donne lecture du rapport concernant l’exonération des prestations de 1915 : « …le conseil municipal de la commune, par délibération en date du 28 octobre 1915, a demandé que ladite commune de Fleurbaix soit dégrevée des prestations de 1915, parce que les ¾ des habitants ont été dans l’obligation d’être évacués et que les terres de ceux qui sont restés sont coupées par les tranchées, ou se trouvent trop près de la ligne de feu pour être cultivées. »… M. le Préfet a exonéré tous les prestataires de Fleurbaix du montant total de leurs prestations de 1915.

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Dans le « Pas-de-Calais libéré » du 28 décembre 1919, il est signalé que pour l’aide à la reconstruction, la ville marraine de Fleurbaix, village dévasté, est Lanton en Gironde.
Aucune des victimes civiles de la commune n’est inscrite sur le site « Mémoire des hommes ».
Sources:
Archives Départementales du Pas-de-Calais
Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine – Gallica BNF
Imperial War Museum – Australian War Memorial
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