En 1920, une enquête est menée auprès des élèves et enseignants de l’académie de Lille (Nord),
concernant le territoire occupé par les armées allemandes et celui occupé par les armées françaises et alliées. (questionnaire à ce lien : Enquête de l’académie de Lille) Je me suis davantage intéressée, dans cette transcription à la perception du soldat hindou par la population civile.

Des lycéens de Saint-Omer (62) racontent. (Source BDIC Cote : C.310 Travaux d’élèves concernant l’Occupation allemande et alliée)
Parmi les questions posées aux lycéens : Avez-vous gardé quelques souvenirs précis et personnels du séjour des soldats anglais parmi nous ? Avez-vous connu des soldats hindous ?
Récit 1er lycéen : « Des soldats indous sont aussi venus chez nous, et presque tout le monde en a gardé une bonne opinion. Très propres, toujours souriant comme de grands enfants, toujours prêts à faire plaisir, ils nous ont plu, beaucoup mieux que d’autres indigènes venus aussi avec les troupes anglaises. […] Ces gens avaient un grand souci de la propreté et chaque jour, ils faisaient leurs ablutions des pieds à la tête et à demi nus. L’ordonnance d’un officier qui logeait chez nous, enlevait même ses chaussures pour entrer dans la maison et venait cirer les bottes de son officier dans la cour, de peur de salir ! De même, ils ne buvaient pas dans le verre qu’on leur offrait avant de l’avoir soigneusement essuyé avec un pan de leur veste, pour le préserver de tout contact impur. »

Récit 2ème lycéen : « Ce furent les indous qui remplacèrent un moment les anglais à Lillers. Ils se cantonnèrent derrière la gare dans des hangars et dans des tentes. On vit que c’étaient de beaux grands hommes aux cheveux et aux longues moustaches noirs. Ils avaient de grandes barbes qu’ils renfermaient dans de fins filets, ils vénéraient les hommes à la belle barbe et aux grandes moustaches. Pour faire leur cuisine ils avaient une façon singulière. Ce qui était intéressant à voir c’était la manière dont ils faisaient leurs crêpes. (voir détail de la recette plus bas…)

Ces soldats aimaient bien qu’on goûte ces friandises faites de leurs mains. Ils fumaient beaucoup l’opium et on les voyait s’endormir après ; les anglais interdirent plus tard de recevoir de l’opium, les indous furent ravitailler en compensation en cigarettes, et en tabac pour fumer avec la pipe. Ces gens mangeaient aussi beaucoup la viande de la chèvre ; ils aimaient cette nourriture. Quand ils se promenaient ils étaient toujours par groupes, les enfants les aimaient bien car ils recevaient toujours des friandises. En effet ces soldats étaient bons, généreux et ils avaient une certaine manière de rire en montrant leurs belles dents blanches qui les faisait aimer. C’étaient de bons cavaliers, ils portaient de très longues lances et montaient des chevaux très rapides sur lesquels ils faisaient une quantité de prouesses. Pour se battre les « h »indous furent aussi nobles que leurs maîtres et ils se renommèrent. Ils furent très agiles pour ramper et surent très bien se servir du couteau quand il s’agissait d’aller tuer des sentinelles allemandes.

On raconte cette anecdote : un jour les Allemands avaient établi un grand parc à munitions que l’on voulait détruire. Ce parc était gardé par les sentinelles allemandes il fallait les supprimer. Pour cela l’on eut recours à des indous ; ces soldats partirent aussitôt vers ce camp en rampant le couteau dans la bouche. Ils firent si bien qu’ils parvinrent auprès des sentinelles sans attirer l’attention et après un geste du chef lancèrent tous ensemble leurs couteaux très adroitement sur leurs victimes. Celles-ci tombèrent tous sans un cri et ainsi on put faire sauter ce parc à munitions.

Ils restèrent assez longtemps à Lillers et s’y firent toujours bien accueillir, certains soldats se firent mal voir mais la plupart sut bien se conduire et surtout les officiers qui étaient des gens très bien. Si ces soldats se conduisent assez bien chez moi je crois que dans certains pays il n’en fut pas ainsi car j’entendis m’en plaindre, mais s’ils se firent maltraiter au début de la guerre c’est parce qu’ils n’étaient pas habituer au pays ; et l’on vit bien qu’avec le temps on les estima davantage. »
Détail de la recette de la pâte à crêpes hindoue:

Récit Février 2018:
Merci à JC RISCH qui me transmet les souvenirs de sa maman à Lillers: « Figurez-vous que ma mère, Lucienne DURANT née en mars 1911 (fille de DURANT Marguerite, née DAVIGNY en 1886 à Guarbecque) me racontait qu’elle allait avec d’autres gosses au campement britannique, et on leur donnait du riz à la confiture, et les hindous leur donnaient des dattes et des fruits séchés, c’était Noël pour les gosses . En plus ma mère leur chantait des comptines du cru et parfois me disait-elle on me donnait : « un gros sou en bronze, appelé one penny, et j’allais chez la Mère Lallie acheter un gros cornet de bonbons cassés » ».
Le bulletin des réfugiés du Nord de 1917 permet d’ajouter quelques éléments concernant l’arrivée des troupes indiennes dans le Nord, à l’automne 1914.
Extraits : Première apparition des indiens sur les champs de bataille dans le nord :
« C’est dans la région de Locon, qu’on vit tout d’abord les visages bronzés des Hindous…»
« Combien de fils du Gange et du Bengale reposent, dans la grasse terre de Flandre, pour n’avoir pas compris que la bravoure des corps à corps n’a rien de commun avec le petit jeu des mitrailleuses. »
« Près de Neuve-Chapelle, les Sikhs firent de la terriblement bonne besogne… »
« Les jupons à carreaux des Highlanders se mêlèrent aux ceintures des Sikhs…le sol du Nord se trouva arrosé par le sang de presque toutes les races du monde… »
« Les cimetières des environs garderont longtemps trace de cette confusion homérique des races ! »
Sources :
Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine
Gallica BnF – Photos Fonds LAFONT, Université de Caen
L’ écho du Pas-de-Calais spécial grande guerre 2008
Les archives du Pas-de-Calais : « l’engagement des troupes indiennes ».
Votre commentaire