Laventie 1GM Détruite Adoptée

Laventie est la commune de naissance de mon arrière grand-mère maternelle Marie ROUSSEL, 8 générations s’y sont installées, c’est aussi la commune où mes parents se sont rencontrés.

Des récits d’occupation au cours de la grande guerre sont transcrits à la suite, ainsi qu’une courte liste de civils évacués en avril 1918 vers  la Belgique lors de l’ offensive allemande des Flandres et quelques éléments nécessaires à la reconstruction de la commune.

– La guerre

Laventie le 8 septembre 1914, Aline écrit une carte à son époux Henri:

Carte d'Aline Ludivine FOUTREIN à son époux Henri Désiré CARLIER, 1GM
Carte d’Aline Ludivine FOUTREIN à son époux Henri Désiré CARLIER, (source AD62 1 J 1699)

(Lors de son mariage en 1901, Henri CARLIER est clerc de notaire, son épouse Aline est modiste (cf acte de mariage et feuillet matricule). Infirmier militaire dans l’armée active et la réserve (né en 1877 à Laventie) , il est mobilisé en août 1914 dans le service auxiliaire à cause de palpitations et faiblesse de la vue).

  • Transcription de cette carte :

« Mon cher petit homme, tu sais que depuis que je suis rentrée de Cambrai, nous n’avons plus eu de courrier et par conséquent je n’ai pu t’envoyer aucune lettre non plus, tu devines mon chéri, ma peine d’être ainsi privée de tes nouvelles et te savoir également dans la même situation. Aussi vois-tu j’use de tous les moyens. Marie Thérèse MARTIN se charge de ma lettre elle s’en va à Hazebrouck elle te parviendra peut-être. Comment vas-tu. Où es-tu. Ne te tourmente pas pour nous tout va bien. Laventie, le 8 septembre 1914. (Fête de la Ste Vierge) »

Octobre 1914 – avril 1918

  • Transcription des écrits de l’instituteur de Laventie (école de garçons) , issus de « réponses au questionnaire concernant le territoire occupé par les armées allemandes et alliées« ,  ( source BDIC  Cote :   B.215, voir le questionnaire: Académie de Lille, récits )

« A. Territoire occupé par les armées allemandes.

I- Généralités. a) Les allemands ont pris possession du bourg de Laventie le 10 octobre 1914. b) La prise de possession s’est effectuée à la suite d’escarmouches. c) Les allemands ont dû évacuer le bourg le 16 octobre 1914 après un combat sérieux livré aux lieux dits : Le Grand chemin (route d’Estaires à La Bassée) et le Pont Duhem. Pendant l’occupation la circulation des hommes fut interdite. Aucun fait saillant n’est à noter. Le bourg fut à nouveau repris le 9 avril 1918. Très peu d’habitants restèrent à Laventie durant la 2è occupation. d) Un officier d’Etat-Major allemand se présenta chez moi le 13 octobre 1914 à 9h du soir. Il demanda du café. Mme BAUDEL le servit et dans le cours de la conversation il prit sa carte et dit: nous partons de Laventie, allons à Estaires, Merville, Paris… Malheur pour vous, mais malheur surtout pour les Anglais.

II. Rapports de l’autorité ennemie avec la population scolaire. Le 10 octobre 1914 l’école publique de garçons servit d’écurie à la cavalerie allemande. Les classes ont été fermées pendant les 2 périodes d’occupation. Elles furent ouvertes de mai 1917 à avril 1918 (date de ma mise en sursis) et installées dans la cave de Mr BOGAERT M° de vins et spiritueux rue d’Enfer et ensuite dans une pièce d’un rez-de-chaussée, rue de la gare. Laventie s’est trouvé du 16 octobre 1914 au 9 avril 1918 à 3 km de la 1ère ligne allemande. Les bombardements ont donc été incessants.

Rue détruite dans Laventie, avril 1915.
1915 , rue détruite dans Laventie. Copyright © IWM (Q 90284).

B. Territoire occupé par les armées françaises et alliées.

Généralités et rapports des troupes avec la population scolaire. a) Les troupes alliées qui ont occupé Laventie sont les troupes françaises, indiennes, anglaises et portugaises. b) Les combats ont été permanents. Les allemands étant près du bourg pendant 4 ans. c) Les soldats alliés ont été tous bienveillants à l’égard des enfants restés dans le pays. Les enfants ont toujours été polis à l’égard des soldats alliés. Ils ont été très serviables. d) Il n’apparait pas que des mots de langue étrangère soient restés dans le langage local.

Laventie, le 22 mai 1920. L’instituteur public, BAUDEL D. Signature»

————————————–

  • Récit de l’institutrice, Ecole publique de filles, Laventie, ( source : BDIC  Cote :   B.215 )

A) Territoire occupé par les armées allemandesGénéralités

a) Les Allemands ont pris possession de Laventie le 10 octobre 1914. Ils furent repoussés le 15 et s’établirent définitivement dans la partie du territoire dénommée : hameau de Mauquissart. b) La prise de possession s’est effectuée à la suite d’escarmouches, de tirs de mitrailleuses. c) L’occupation dans le centre de la commune n’a duré que cinq jours : les Allemands ayant été repoussés par les Français et les Anglais. d) Les officiers et les soldats étaient unanimes à déclarer l’Angleterre responsable de la guerre. Ils se disaient sûrs d’arriver à Paris en peu de temps et se promettaient de débarquer en Angleterre, dès qu’ils auraient triomphé de la France. e) L’occupation allemande en 1914 ne dura que cinq jours. En 1918 lorsque la commune de Laventie fut de nouveau envahie presque toute la population avait fui. L’institutrice était détachée à Calais comme intérimaire depuis octobre 1915.

B) Territoire occupé par les armées françaises et alliées – Généralités et rapports des troupes avec la population scolaire.

a) Les troupes françaises, anglaises, portugaises

Hôpital Saint-Jean, Laventie (62) - Soldat Mort pour la France
Document probablement proposé, par la famille du chasseur alpin MANDON mort pour la France en octobre 1914, lors de la Grande collecte 2013 organisée auprès des services d’Archives. La fiche du soldat MANDON est sur Mémoire des Hommes.
Lors de l’ invasion en octobre 1914, les soldats allemands blessés dans la région, furent soignés à l’hospice Saint-Jean ci-dessus tenu par les Soeurs Augustines.
La Supérieure, Mère Aldegonde, a été citée à l’ordre du jour, pour son dévouement à soigner les blessés. Elle a caché aux yeux des occupants allemands 2 soldats français qui ne pouvaient être emmenés par les ambulances.
– Notes sur l’ occupation de Laventie par le doyen DEJARDIN, transmises pour l’écriture du livre « La Guerre en Artois » 1916, sous la direction de Mgr LOBBEDEY Evêque d’Arras.

(Remarque : « Plusieurs tombes de chasseurs alpins, enterrés à Laventie, sont maintenant disparues, probablement depuis le bombardement du cimetière ». Bertrand Lecomte, association l’ Alloeu terre de batailles.)

b) On s’est battu à Laventie en octobre 1914, pour repousser l’ennemi, dans les journées des 12,13,14 et 15 octobre. Les Allemands se fixèrent définitivement au hameau de Mauquissart où ils demeurèrent jusqu’à la fin, en sorte que ce fut une suite ininterrompue de combats. c) Les soldats fraternisaient avec les enfants qui, de leur côté, cherchaient à être reconnaissants des bontés dont ils étaient l’objet.

Laventie le 26 mai 1920, l’Institutrice, A DELABY.

Mise à jour du 30 janvier 2019, issue du rapport du sous-préfet de Béthune en juin 1916. Document visible dans les « Récits d’occupation de la grande guerre » aux Archives départementales du Pas-de-Calais. Il  identifie quatre victimes civiles sur huit, fusillées par l’ ennemi le 10 octobre 1914:

-Henri STRECK âgé de 60 ans
-Albert HANNOIR 68 ans dont le corps a été retrouvé en partie brûlé
-Auguste SENNEVILLE âgé de 76 ans
-Henri DESFOSSEY classe 1887

Un autre témoignage concerne la  collecte de l’or à Laventie, chez les quelques habitants restés au domicile en 1916.
Le « poilu civil » PETIT-DIDIER, directeur honoraire de la banque de France à Béthune, est hébergé chez le curé-doyen de Laventie qui tient à y rester, à moins de 4 kilomètres des allemands, pour prodiguer le réconfort de son ministère à ses ouailles.
Une habitante restée également dans la commune, malgré le danger, signale au « touriste » collecteur à proximité des lignes ennemies, de ne pas emprunter la rue Bacquerot à moins de ne vouloir tomber sur les tranchées allemandes.

N.B. : une particularité sur le monument aux morts de Laventie, les civils morts pour la France sont tous nommés « NOM  prénom », une exception néanmoins avec une famille, où il est inscrit « BOULINGUEZ – WATTEEL et les 4 enfants ». Il s’agit de Désiré BOULINGUEZ et son épouse WATTEEL Marie Angèle, mariés à Laventie en 1898.
Les 4 enfants , Marie née en 1906, Jules né en 1907, Yvonne née en 1909, Désiré né en 1911 sont de bien jeunes Morts pour la France en 1918!
Une 1ère Marie est morte à l’âge de 6 ans avant-guerre en 1905, d’où ce prénom qui a été donné à l’enfant suivant « en mémoire de ». Le couple et 3 enfants apparaissent dans une liste de réfugiés dans l’arrondissement d’ Hazebrouck , comme décédés à Merville, à la date du 1, 3, 4 et 14 janvier 1918.

Comme pour la commune voisine d’ Estaires, les registres de Laventie ont été détruits lors de la 1ère guerre mondiale. La reconstitution des actes de l’ Etat civil suivant la loi du 15 décembre 1923, permet de retrouver quelques décès de victimes civiles, établis par la Commission de Béthune. (ici pour Julia LEROY de Fauquissart)

Julia LEROY, victime civile à Laventie décédée le 9 décembre 1914 près de Fauquissart. Epouse de Célestin DESENNE, née en 1871 à Laventie, fille de Désiré et Céline LECONTE.

Evacuation de la zone proche du front

En avril 1918, suite à l’ offensive allemande (dite Bataille de la Lys), Laventie et ses communes voisines, le long de la Lys (La Gorgue, Merville, Sailly…) et plus au nord Bailleul, Steenwerck… se retrouvent dans la zone de guerre. La commune sera à nouveau occupée par l’ennemi et détruite, comme l’indique le dossier d’adoption de la commune ci-dessous en 1921.

Les quelques habitants qui, mi-avril, n’avaient pas encore fui Laventie, ont été provisoirement logés à Lille avant d’être évacués vers la Belgique, par train le 29 mai 1918. Evacuation sous contrôle allemand. Voir la liste transcrite ci-dessous et les rues du domicile .

Transport A vers la Belgique, 29 mai 1918
Transport A vers la Belgique, 29 mai 1918 (Source AM Lille)

Voir aussi l’article source à ce lien : Evacuation des habitants de la ligne de feu

DESENNE Léopold 1844 rue de Bouvines
LEGILLON François 1844 « 
REMINQUE Henri 1860 « 
ROUSSEL Désiré 1847 « 
LEROY Jules 1843 rue de Tournai
SAINT-POL Marie 1878 rue Guillaume Werniers
SAINT-POL Jeanne 1910 « 
SAINT-POL Julia 1915 « 
CHAVATTE Auguste 1837 rue de Tournai

L’ histoire des « vieux » FAUQUEUX, dont la sépulture est présente au cimetière communal de Laventie, interpelle:

Charlemagne, Louis et Oliphie FAUQUEUX, frères et soeur âgés respectivement de 82, 76 et 73 ans sont tous trois décédés en 1918 à Laventie, près de la gendarmerie à l’époque, en ruines à la reconstruction.
Sans descendance (pour les frères), oubliés du Monument aux morts?
Disparus lors de la Bataille de la Lys d’avril 1918?

Mise à jour du 8 mai 2019:
Oliphie FAUQUEUX est retrouvée, dans un convoi funéraire ramené dans le Pas-de-Calais en 1922, avec des soldats. Elle est certainement morte pendant la guerre alors qu’elle était réfugiée. La famille a dû souhaiter rapatrié le corps, pour l’ enterrer dans le caveau familial à Laventie. Oliphie FAUQUEUX mariée à Désiré RAMERY à Laventie en 1870, dont descendance à Fleurbaix.
Un acte de décès est à trouver ailleurs que dans le Pas-de-Calais.

– Reconstruction

Etat des lieux des ruines de Laventie (62) en Novembre 1918 (source Bulletin des réfugiés). Lieux de vie de la famille de mon arrière grand-mère maternelle.
« Le quartier de la gare a le moins souffert.
Les estaminets BUISINE, VISNER, BOUTEMY, LECLERCQ sont détruits.
Quelques tombes et monuments de l’allée principale du cimetière sont détruits (chapelle DUQUESNE-TANTELIER renversée). Il s’agit du couple Alfred DUQUESNE – TANTELIER Marie Louise , mariés à Laventie en 1880.
Un cimetière boche est installé dans la pâture HUCHETTE près du patronage.
Noms des habitants cités : Amédée LEROY
– Rue des Clinques : PETILLION, LEGRAND, TANTELIER, ROGEAU, CALERS, maisons détruites ou incendiées, tout comme l’église dont les restes ont été dynamités.
– Rue du Paradis : ROGEAU, FLAMENT, DELCROIX-CAPELLE, CARLIER-MOREL, MANTEL, commerces détruits.
LIAGRE, LEMAIRE, DUPONT, maisons incendiées (ou dynamitées) ainsi que les fermes FENART, MOUFFLIN, FEUTRIE, LEGRIE, TURPIN, Château DUMONT-DORMION  dynamité.
-Rue des Amoureux : abbé LEULIET, LEVAAST, MARSY, LEGRAND, DELOUF, gendarmerie et maisons en ruines.
-Rue d’Enfer : CRETON, DEMOL, DUMORTIER, fermes détruites…
Un certain nombre de maisons existent encore, mais pas une n’est habitable. Les caves des maisons ont été dynamitées.
Objectif : réparer les maisons « restaurables » et remettre les terres en culture. »

En 1921 Bayonne et Biarritz adoptent Laventie commune du Pas-de-Calais, elles sont villes marraines au secours de la commune victime de la Grande Guerre.

Dossier d’adoption de la commune de Laventie par la ville de Bayonne.
E dépôt Bayonne 4 H Art 28 ( AD 64 )

Transcription d’un document du site « Retours vers les Basses-Pyrénées »:

« Avant guerre 1914 : Village essentiellement agricole – Population profondément croyante, une des meilleures de la région – Comprenait 3 hameaux : Le Tilloy, Vanquissart, Manquissart ayant à eux trois 1500 habitants (il faut comprendre Le Tilleloy, Fauquissart, Mauquissart).

Eglise de Laventie 1917, source BDIC.

Actuellement 1921 La population est restée jusqu’en avril 1918, courageusement à Laventie, malgré d’incessants bombardements et la proximité des lignes allemandes établies à 6 km. Ce qui rendait le ravitaillement des plus difficiles. En 1918 Laventie fut évacué de force. Les Allemands l’occupèrent, puis la firent sauter au moment de leur retraite. Aujourd’hui plus de la moitié des habitants habite de nouveau Laventie, soit dans des baraquements, soit dans les maisons encore debout quoique très endommagées. Beaucoup de bâtisses eussent été réparables si on les avait de suite munies d’un toit quelconque. La plupart ne le sont plus à cette heure. Sur 2 fabriques de galoches, une reprend.

Intérieur de l' église de Laventie - février 1920
Intérieur de l’ église de Laventie – février 1920 Collection du Colonel GOODLAND, Commission des sépultures après-guerre. Source CWGC: Commonwealth War Graves Commission.

Besoins du village au point de vue communal et général : C’est l’eau que réclame avant tout Laventie qui sur cinq puits n’en a plus qu’un seul de bon et d’utilisable – Le hameau de Mauquissart n’en a même pas un – C’est à ce hameau qu’il convient de songer tout d’abord – Il faudrait 4 grands puits et 4 petits – Le prix d’un grand puits est de 15.000 frs – le prix d’un petit est de 3.000. Laventie aurait l’occasion d’utiliser le forage d’une brasserie, pour l’installation d’un château d’eau qui fournirait l’eau à toute la commune – Mais ce serait une dépense de 100000 frs. Laventie serait également heureux d’obtenir du cheptel. Les agriculteurs en manquent – Ils réclament aussi des instruments agricoles secondaires tels que chariots, charrues etc. D’ici quelques mois, des plans d’arbres fruitiers, principalement de pommiers (de l’espèce qui produit les pommes à manger) seront très désirés. Laventie demande instamment la création d’un poste. La mairie offre dans l’école des garçons récemment restaurée 1 logement pour les dames du secrétariat des VL. ce poste rendrait d’immenses services aux communes du canton. Tous les habitants viennent difficilement à Laventie, faute de communications. Il y a encore à Laventie et dans le canton, des gens couchés sur la paille ».

Emplacement du château DUMONT dynamité 1GM, Laventie
Emplacement du château DUMONT à Laventie (portail entre 2 baraquements), dynamité pendant la Grande Guerre. Image Delcampe.

A la place du château DUMONT DORMION dynamité pendant la 1ère guerre mondiale, s’installent les baraquements de l’entreprise MOUSSIE, pour la coopérative de reconstruction du Pas-de-Calais après-guerre. (Source Wikipasdecalais)

Sources :

Archives Départementales du Pas-de-Calais – Archives Municipales de Lille

Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine – Gallica BnF

Site « Retours vers les Basses-Pyrénées ».

 

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Publié dans Evacués Occupés Lys 1918, Pas-de-Calais 14-18
2 comments on “Laventie 1GM Détruite Adoptée
  1. jmg013 dit :

    Merci pour ces intéressants témoignages.

  2. Michel FLORENS dit :

    je retrace les récits journaliers d’un inspecteur du chemin de fer du Nord en 1914/1919. J’en suis au début… le récit sur l’état de Laventie en janvier 15 est édifiant: destructions, victimes civiles, certaines les yeux bandés et fusillés. véritable mémoire active je travaille sur ce dossier et j’en ai pour des mois…vous pouvez me contacter

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